La Grande-Bretagne n'était pas si mal, finalement. Moins poussiéreux, moins étouffant que son Algérie natale. Moins réchauffée également. C'était une habitude à prendre. Une habitude difficile à prendre. Le mal du pays n'existait pas pour Cherry, le mal tout court non plus, d'ailleurs. Si tout de même...Le mal du pays pesait de temps en temps sur ses épaules, tentant de retrouver quelque part dans les rayons du soleil un petit goût de miel et de sable chaud, les souvenirs des maisons brûnies et des gamins jouant aux billes avec des noyaux d'abricot. Les gamins. Une plaie. Des mouchards ne sachant que se plaindre, hurler, et à la bonne foi passablement limitée. Elle aurait besoin de sang froid, sans doute, pour ses cours. Ne pas avoir la baguette chatouilleuse. Peut-être était-ce parce qu'elle avait prévu de porter l'enfant de son mari bien aimé qu'elle ne pouvait plus les supporter. Son époux aux yeux de braise mais à l'âme infidèle qui l'avait poussé dans les bras de la jumelle de Cherry. Elle lui avait fait payer, lui aussi devra rembourser sa dette un jour. Peu importait quand. Cherry était d'humeur patiente. Toujours.
Saleté de dimanche. Jamais quelque chose d'intéressant à faire, pas même pour un sorcier. Et Dieu se reposa le septième jour. Est-ce qu'il avait pensé à ceux qui voulaient faire des heures supplémentaires ? Non. Saleté d'égoïste. Cherry soupira, marchant dans les rues de Notting Hill, la tête ailleurs. Les maisons colorées bordaient les rues, elle habitait d'ailleurs dans l'une d'entre elles. Dire qu'elle n'avait jamais supporter les couleurs vives. La poisse. La jeune femme se dirigea vers Hyde Park, encombré par les vagabonds du dimanche, des parents et leurs enfants insupportables. L'étaient-ils vraiment ? Non. Elle se complaisait à dire qu'elle n'en avait jamais voulu ni espérer. En espérant qu'ils se paument dans Hyde Park. Saleté de gamins. A croire que les moldus étaient mégalomanes, pour concevoir des jardins aussi grands.
Est-ce que je déprime ? Ce fut la question qui résonna soudain dans sa tête. A en vouloir ainsi à tout et à tout le monde, elle en vint à se demander si elle n'allait pas finir comme sa voisine d'en face, vieille folle entourée de ses trente six chats minaudants. Certes elle était lunatique. Certes elle détestait les dimanches, un peu moins les enfants. Mais tout de même. Cherry se rendit vite compte qu'aucune mauvaise humeur n'était en cause -ô miracle- mais seulement son stress face à une dure réalité : son premier cours de vol approchait. Serait-elle capable de ne pas s'emporter? Il le fallait. Elle devait faire en sorte que la Cherry professeur soit différente de la Cherry mangemort. En place, mademoiselle l'artiste. Pourquoi ne pas le tenter maintenant ?
La jeune femme tourna la tête vers le soleil rougit se couchant à l'Ouest. Le soir, il y avait toujours un peu plus d'activité, même un dimanche. Elle avait entendu parler d'un club branché pour sorciers. S'il était si huppé, sans doute n'était-il pas fermé. Auquel cas il était possible que le gérant ne se prenne pour dieu, lui aussi. Cherry s'y dirigea d'un pas plus déterminé, s'engouffrant dans les chemins sinueux de Kensington Gardens, et marcha durant une bonne quinzaine de minutes avant de se retrouver au Véritaserum. Un coin paumé à l'abri des moldu, protégé par un sortilège. Des lumières roses et bleues s'enfuyaient sous la porte de bois, qu'elle poussa d'un geste vif. A l'intérieur, des bruits de verre, des rires, quelques danses lassives, ici et là des sorciers un peu joyeux. Essayons le masque. Cherry professeur. Elle fit un grand sourire au barman, et s'approcha du comptoir. De sa voix la plus douce et calme -oui oui elle en a une- , elle demanda une boisson.
Cherry- Un Bloody Mary ... s'il-vous-plait...
Que de mal pour arracher de sa bouche une formule de politesse.
Barman- Vous êtes majeure ? demanda-t-il dans un sourire.
Cherry- Bien sûr, rétorqua-t-elle en tentant de le prendre bien et de garder son calme.
Barman- Ca marche, un bloody mary pour la belle demoiselle.
Il se retourna, laissant Cherry souffler toute son exaspération. Ne pas répliquer vaillemment n'était pas chose facile, et la jeune femme se mit à tapoter les ongles sur le bar, tic nerveux.